L'IRRESISTIBLE ASCENSION DE L'INSOLENTE MARION / EMMA DEBROISE

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La vie de Marie Tromel
Le mot de l'autrice
Pour aller plus loin

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EXTRAIT DU SPECTACLE

Le texte est presqu'entièrement écrit en alexandrins, mis à part les intermèdes et autres interactions avec le public. Il sera prochainement publié aux Éditions À Visage Découvert.

TABLEAU 1
L’aubergiste, Mahé, le marchand

Auberge du Lion d’or, en 1737.
Un client d’apparence modeste et en état d’ébriété, Mahé, boit abondamment du cidre assis sur un gros tonneau. 
L’aubergiste remplit son verre à l’aide d’un pichet et lui tient compagnie.


MAHE
Le faquin refusait de me payer mes gages.
Je n’ai fait que combler cet injuste dommage.
J’ai repris ce qui m’était dû, ni plus ni moins.
Mais selon les juges, je suis un assassin !
Et si je ne m’étais évadé du cachot,
Je serais aujourd’hui mort pour huit écheveaux.
Condamné, te rends-tu compte, à la pendaison
Pour avoir dérobé du fil à son patron !?

L’AUBERGISTE
Tu m’as déjà conté cette histoire cent fois,
Cesse de ruminer et rentre enfin chez toi,
Arrête de boire, Mahé…

MAHE
  …Comment veux-tu ?
Tout se révolte en moi quand je vois tant d’abus.
Peu importe l’objet des affaires jugées,
Les torts pèsent toujours sur le peuple opprimé.
Sans compter qu’il rembourse aussi le déficit 
De ceux mêmes qui le traitent de parasite.
Et tandis que les gueux, partout dans le pays,
Crient famine et souffrent de la dysenterie,
Versailles collecte de plus en plus d’impôts
Pour financer ses guerres et ses riches châteaux.
Les pauvres n’ont d’autres choix que vagabonder,
Et parce qu’ils sont pauvres, aussitôt châtiés !

L’AUBERGISTE
Les puissants préfèrent les pendre haut et court,
Que d’interroger leurs privilèges de Cour.
Honnir les petits est l’apanage des grands
Dans toutes les contrées de France, et de tout temps.
Crois-tu que ces abus, un jour puissent changer ?
La force n’est pas du côté des opprimés…

MAHE
La colère gronde bien plus que de coutume.
Elle se nourrit de misère et elle exhume
Notre instinct de révolte et, foi de bonnet rouge,
Il faudra que cette situation bouge !
Je n’accepte plus de subir l’oppression,
La dîme, la taille, la capitation,
Les droits de foire, de marché et d’étalage,

L’AUBERGISTE
Le devoir de loger les troupes de passage !
L’impôt sur les boissons…

MAHE
…et les droits de travers,
La corvée ordinaire et extraordinaire…

Un riche marchand entre dans l’auberge.

L’AUBERGISTE
Tais-toi ! Des oreilles malintentionnées
Pourraient nous dénoncer à la Maréchaussée.

Le marchand semble accablé.

L’AUBERGISTE
Du cidre pour Monsieur ?

LE MARCHAND, au désespoir
Ah ! Je n’ai plus d’argent.
J’ai été pillé par une armée de brigands.
Alors que j’allais à la foire du Faouët.
Une femme rousse se trouvait à leur tête.

MAHE
Une femme ?

LE MARCHAND
…Et qui sait manier le bâton !
Elle m’a mis une sacrée correction.

L’AUBERGISTE
Eh bien décris-la, quelle est cette créature ?

MAHE
Un signe distinctif ?

LE MARCHAND, emphatique
Une immense envergure !
Aussi forte qu’un bœuf, mesurant bien six pieds.
J’ai eu beau résister, j’ai été terrassé,
Puis plaqué au sol par des hordes de sauvages.
J’avouais mon échec, malgré tout mon courage.
Ils criaient « Marion » ou bien « Marie Tromel »
Et lui obéissaient comme à leur colonel.
Mon dos en est encore meurtri… Dieu, quelle histoire !

MAHE, en aparté à l’aubergiste
Parbleu, serait-ce donc notre lueur d’espoir ?

L’AUBERGISTE, en aparté à Mahé
Quand les femmes s’arment, ciel, c’est que l’heure est grave !

MAHE, en aparté à l’aubergiste
Le peuple serait prêt à briser ses entraves ?

L’AUBERGISTE, en aparté à Mahé
J’ai déjà eu vent de cette habile brigande.
Mais de ce que je sais, elle n’est pas si grande…
Elle ne dépasse pas les cinq pieds de haut.

MAHE, en aparté à l’aubergiste
Je le crois capable d’embellir le tableau
Pour sortir gagnant de cette mésaventure.

L’AUBERGISTE, en aparté à Mahé
Qui serait davantage une déconfiture ?
J’ai entendu dire qu’aucun coup de bâton
N’a été asséné pour sa part de pardon.
Si l’on met de côté les rares numéros
Qui se sont comportés en parfaits saligauds.

MAHE, en aparté à l’aubergiste
Oui, mais donnons-lui le bénéfice du doute.
Laissons-le raconter jusqu’au bout sa déroute.
Tant qu’il ne se mêle pas de fiscalité,
Je veux bien excuser toutes ses lâchetés…

LE MARCHAND, in petto et euphorique
J’avais réalisé une opération
En revendant grâce à la spéculation,
Des sacs de farine à un prix exorbitant.
J’aurais pu enfin de retour à Lorient,
M’offrir une charge de percepteur d’impôt…

MAHE, en aparté à l’aubergiste
Retiens-moi ou je le brise en mille morceaux.

L’aubergiste retient Mahé tant bien que mal.

LE MARCHAND
Quitter pour de bon ma qualité roturière…

MAHE, entre ses dents
Traitre, tu serais prêt à vendre père et mère !

LE MARCHAND
Lever une taxe directe ou indirecte…

MAHE, en aparté à l’aubergiste
Tant de bassesses en un seul homme me débectent. 
Je vais l’étriper…

Mahé lève le poing, prêt à bondir sur le marchand.

L’AUBERGISTE, en aparté à Mahé
Vas-tu donc rester en paix ?
Si tu l’estourbis, cette fois c’est le gibet.

L’aubergiste réussit enfin à contenir Mahé qui retourne s’asseoir sur son tonneau. L’aubergiste tend un verre au marchand.

L’AUBERGISTE, au marchand
Laissez-moi vous offrir un verre d’hydromel
Pour oublier l’affront de la Marie Tromel.

LE MARCHAND
Merci, l’aubergiste, ce n’est pas de refus…
Pensez donc que j’étais « à ça » d’être promu !
Après avoir flatté la noblesse d’État,
Commis des trahisons, cumulé les coups bas,
J’aurais bien mérité un peu de privilèges !
Si cette rousse ne m’avait tendu un piège,
A l’heure qu’il est je serais le titulaire
D’un office royal, de plus, héréditaire.

MAHE
Si je comprends bien, vous obtenez un métier
Non par le mérite, mais par vénalité ?

LE MARCHAND
Vous insinuez là…

MAHE
…que pour remplir les caisses
C’est souvent aux plus sots que ces charges s’adressent.

LE MARCHAND
C’est moi que vous nommez sot de votre « fauteuil » ?

MAHE
Voilà la vérité qui blesse votre orgueil.
Mais si vous échangez votre habit et le mien,
Vous le serez autant du soir jusqu’au matin.
Je suis las d’observer que dans notre pays,
Le pouvoir de l’argent évince les esprits.
Vous m’avez l’air des plus fats et je suis charmé
Que vous ayez reçu cette déculottée.
Cette femme du peuple a exaucé mes vœux.

LE MARCHAND
Ah, je ne sais pas ce qui me retient, monsieur !

MAHE
Est-ce la peur des coups ?

L’AUBERGISTE
Messieurs, je vous en prie !
Sortez au moins de là régler votre conflit.

LE MARCHAND
Vous vous moquez de moi, pourtant c’est vous le fat
De penser démolir le système d’en bas.
J’ai observé les règles et les ai acceptées
Libre à vous d’embrasser la médiocrité.
Quant à moi il est clair que j’ai choisi mon camp !

MAHE
Ah ! Sortons, scélérat, régler ce différend.

Mahé attrape violemment le marchand par l’oreille et l’attire en dehors de l’auberge.

LE MARCHAND
Ah, vous me faites mal !

L’AUBERGISTE
Ne criez pas si fort !
Tout ce fracas pourrait me faire très grand tort.
Je viens juste d’ouvrir et suis criblé de dettes.

Ils sortent. Bruits de coups.

MAHE (off)
Prends ça ! En l’honneur de Marion du Faouët.

L’AUBERGISTE
Pourvu qu’ils n’attirent pas l’attention…

LE MARCHAND (off)
Hé ! 

L’AUBERGISTE
Je ne veux pas d’ennui avecque les archers…

MAHE
Lâche !

LE MARCHAND
Fripouille !

L’AUBERGISTE
À tous les coups, ils vont esquinter…

LE MARCHAND
À l’aide !

L’AUBERGISTE
La vitrine que je viens d’installer !

Bruits de verre. Le corps du marchand s’écroule en fond de scène. L’aubergiste se prend la tête de désespoir. Mahé revient en se frottant le poing.

MAHE
Il a son compte enfin, pardon pour la casse…
Sais-tu où je pourrais retomber sur la trace 
De cette femme dont il a fait le récit ?

L’AUBERGISTE
Eh bien, Mahé, que te voilà ragaillardi !
Va voir peut-être sur la route de Gourin…

MAHE
Merci l’aubergiste, je cours vers mon destin.
(Il tend une bourse à l’aubergiste)
Voilà donc pour ton cidre !

L’AUBERGISTE
Et pour ma devanture ?

MAHE
Bientôt, je passerai honorer la facture.
Si cette rousse est si puissante qu’on le dit
Tu pourras remettre à neuf ton hôtellerie.

L’AUBERGISTE
Tu es prêt à risquer à nouveau la potence ?

MAHE
Il ne s’agit pas d’un risque, mais d’une chance.
Marion du Faouët me redonne l’espoir.
Adieu !

L’AUBERGISTE
Adieu Mahé !

Mahé quitte l’auberge, laissant l’aubergiste seul. 

L’AUBERGISTE
Nom d’un chien, quel foutoir !

[…]