L'IRRESISTIBLE ASCENSION DE L'INSOLENTE MARION / EMMA DEBROISE
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LE MOT D'EMMA DEBROISE
Autrice de "L'Irrésistible ascension de l'insolente Marion"
C’est au cours d’une conversation avec l'auteur et metteur en scène Jean-Yves Brignon en 2018, que je découvre l'existence de Marion du Faouët. Nous nous retrouvons sur l’envie de monter un spectacle dans la veine des comédies héroïques, avec leurs personnages hauts en couleur, leurs répliques pleines de panache et leurs aventures trépidantes. Il me parle alors de son envie de monter un spectacle inspiré de la vie de cette brigande légendaire révoltée contre la misère et la condition féminine au début du 18ème siècle. Quatre ans passent, la situation sociale se détériore et l’urgence de monter un spectacle sur le thème des injustices se fait sentir. Nous organisons alors une séance de travail à l’issue de laquelle nous convenons que je prenne en charge l’écriture et lui la mise en scène. Ayant collaboré entre temps avec lui sur une version très fougueuse d’Andromaque de J. Racine, je suis inspirée par une première scène en alexandrins. Le processus créatif est enclenché et je plonge avec passion dans les aventures de cette femme hors norme.
En étudiant les récits qui ont été faits sur sa vie, je suis d’abord frappée par son instrumentalisation au cours de l’Histoire. Tantôt diabolisée, notamment au 19ème siècle pour servir d’épouvantail aux femmes qui osaient s’éloigner de la norme, elle sert ensuite d’étendard aux mouvements féministes dans les années 70, notamment dans la pièce Marion du Faouët, la catin aux cheveux rouges de Colette Hélard-Cosnier.
Quant à moi, mon envie a été d'interroger justement ces récits, à travers le rôle du narrateur. Quelles représentations normatives véhicule-t-on à travers eux ? Que reste-t-il ensuite dans la mémoire collective qui façonne notre imaginaire ? Quelles sont les intentions de l’auteurice de théâtre lorsqu’iel s’empare d’un sujet et notamment d’une histoire réelle ? A quelles contradictions se heurte-t-iel ? A quel moment peut-on parler d’opportunisme ? A travers cette mise en abyme, j'ai souhaité questionner le processus créatif, ayant moi-même trop souvent assisté en tant que spectatrice au traitement intéressé de thématiques sociétales «dans l’air du temps». Combien de spectacles au discours, souvent donneur de leçon, se sont montés, par exemple, suite au mouvement #Metoo, qui incarnaient vraiment ce qu’ils prétendaient défendre ? C’est ce besoin d’honnêteté et de cohérence qui m’a guidée aussi durant l’écriture. Non pas que je sois exempte de contradictions, mais parce que je souhaite justement les mettre sur le plateau, au vu et au su de tous.tes pour mieux les questionner.
Pour revenir à l’histoire-même de Marion du Faouët, elle est en cela fascinante qu’elle va à contre-courant de toutes les normes sociales et de genre. C’est un récit de désobéissance et d’interrogation des stéréotypes dans une époque, probablement encore plus marquée qu’aujourd’hui par les crises sociales et les assignations, mais qui cependant résonne fort avec l’époque actuelle, à travers l’accentuation du fossé entre riches et pauvres et le retour à une pensée très conservatrice. Cet ordre social, plus ou moins marqué dans l’Histoire selon les époques, je m’y intéresse aussi en interrogeant le système d’aliénation dans lequel nous sommes tous.tes empêtré.e.s : conflits d’intérêts, désir mimétique, opacité des règles, dévalorisation du féminin et de tout ce qui ne correspond pas à la norme dominante. Tout ceci conduit la majorité opprimée à se soumettre à une poignée de dominants.
Je fais le pari que la prise de conscience de ces systèmes d’exploitation soit un premier pas vers une libération. Je fais le pari également que l’humour et le récit d’aventure seront des leviers efficaces pour rendre cette prise de conscience la plus accessible possible au plus grand nombre.
Enfin j’ai tenu à écrire cette pièce dans une langue soutenue et à la distribution pléthorique (une quarantaine de personnages), à l’instar du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, pour trois raisons : premièrement pour la poésie de la langue et la contrainte créative des alexandrins (avec respect de la diérèse) qui m’ont portée durant toute l’écriture ; deuxièmement pour colorer le langage dans le style de cette époque, sachant qu’il serait impossible de produire une pièce en ancien Breton ; troisièmement pour incarner dans la forme la déraison qui anime le parcours de cette femme subversive et hors norme qui a poursuivi jusqu’à la mort son idéal de liberté.